Démarche artistique

Fascinée par les multiples facettes qu’offre le papier, je collectionne des feuilles issues de la récupération. Ce matériau transformé conserve la puissance de l’arbre, mais offre également une relative fragilité reflétant celle des écosystèmes. 

C’est donc le papier, sous la forme de matériau flexible et durable, qui est au  commencement de tout.

De la nature défaite

« Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. »  

Charles Darwin, The origin of species, 1859

Dans son roman L’homme qui savait la langue des serpents, l’écrivain estonien Andrus Kivirähk imagine que les habitants de la forêt primitive parlent tous le langage des animaux par l’intermédiaire de sifflements1.

Ce dialogue privilégié avec la nature est désormais rompu.

Selon Anne-Caroline Prévot, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, dans les films de Walt Disney, « le nombre et la durée de scènes dans des paysages naturels diminue, et à partir des années 80 apparaissent des films où la végétation a disparu ». Elle évoque à ce propos une forme « d’amnésie environnementale » et insiste sur le fait que « moins nous expérimentons la nature, moins nous luttons pour sa préservation ».2

Libellule bleue et noire, papiers, cartons, techniques mixtes, 25 x 15 cm, 2021.

Créée en septembre 2019 pour le festival des Rencontres contemporaines des artistes singuliers à la galerie A cent mètres du centre du monde, à Perpignan, « dis-koleos3 » proposait une installation qui interrogeait le public sur la disparition des coléoptères. Le visiteur y découvrait des boîtes entomologiques, des cloches en verre, vides ou présentant des scarabées en papiers découpés, se confondant parfois avec le support sur lequel ils reposaient, vagues souvenirs de collections d’un muséum d’histoire naturelle antédiluvien.

Installation diskoleos , exposition à la galerie Acentmetresducentredumonde , festival RCAS, Perpignan, 2019

A la suite de ce projet, des recherches sollicitant matériaux organiques et artificiels, papiers découpés et techniques mixtes ont été amorcées. Avec Holy ghost , le scarabée sacré devient l’archétype des relations complexes que nous tissons avec le vivant.

L’insecte roulant modestement sa boule de bouse, enfoui sous les feuilles mortes qui jouent avec l’ombre et la lumière, se transforme peu à peu en un être de papier diaphane, sans relief, quasi fantomatique. De son existence antérieure seule demeure la connaissance de sa séquence d’ADN, tracée en arrière-plan, et son nom, issu de son origine divine, Holy ghost

Holy ghost, détail, 2020

L’épidémie que nous traversons actuellement a réactivé mon parcours de biologiste. Un retour au trait, au dessin de formes végétales (pollens, graines, planctions) a donné naissance à une nouvelle série de travaux dont le point commun, le papier, reflète la fragilité des écosystèmes, à l’instar des vers de Francis Ponge :

« Nous avons tout cela avec le coquillage : nous sommes avec lui.  En pleine chair, nous ne quittons pas la nature (…) »4

Refuge – Papiers, techniques mixtes, 8 x 12 cm, 2020

1- Roman traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier, Editions le Tripode, 2011

2- Télérama du 22 mai 2017

3- Du préfixe dis– qui marque la séparation, la négation, et koleos, du grec étui, à l’origine du mot coléoptère.

4- Le parti pris des choses, de Francis Ponge, Gallimard 2005